Ce n’est pas seulement à cause des encombrements que la conduite au Caire est éprouvante pour les nerfs. C’est surtout la densité des véhicules sur la chaussée qui doit être domptée pour espérer conduire sans succomber à une attaque cardiaque. Les voitures roulent très près les unes des autres, et assez vite. En cas de ralentissement, tous les espaces libres sont occupés. Un pont à deux voies accueillent trois files. Les carrefours sont vite saturés en l’absence de policiers efficaces ou en la présence d’agents distraits ou occupés à autre chose (dresser une contravention, par exemple). A l’arrêt, lentement ou à pleine vitesse, les voitures se frôlent en permanence. Il n’est pas besoin d’avoir une grosse voiture coréenne ou américaine pour jouer les Fangio. Malgré la densité de la circulation, les voitures roulent souvent à la vitesse maximale (non autorisée) et slaloment entre ceux qui sont plus lents.
Je n’ai pas encore parlé des arrêts impromptus. Un taxi se range rarement sur le côté pour prendre un passager qui vient de le héler en criant, à travers la fenêtre ouverte, sa destination. Cet autre taxi se plante au milieu d’un carrefour pour laisser descendre sa cargaison, puis le jeune homme qui doit payer fouille ses poches pour trouver la monnaie – les taxis n’ont jamais de monnaie, c’est une règle – bloquant ainsi la circulation sur les deux voies perpendiculaires. Et c’est sans compter sur les minibus, en bleu et blanc au Caire, chargés à bloc, qui stopent ici et là, à tout va, n’importe comment, qui doublent à toute allure en faisant rugir leur moteur et généralement en exhalant un nuage gris noir d’échappement, vous coupent la route pour piler cinquante mètres plus loin, et repartir à peine le dernier passager débarqué.
Il y a aussi les charettes tirées par des ânes faméliques, les scooters déglingués chargés d’un homme sans casque et d’une femme voilée tenant un bébé dans ses bras, les vélos chevauchés par des livreurs de pain portant en équilibre sur leur tête une claie de 2,5m sur 80 cm de large où sont entassés en pyramide les populaires galettes de pain.
Théorie, avais-je annoncé en titre. J’ai lu quelque part, dans un ouvrage écrit par une Américaine ayant passé vingt ans en France et expliquant à ses compatriotes pourquoi ils sont déboussolés dans l’hexagone, qu’un des éléments de leur malaise venait de l’espacement réduit entre les véhicules. Les Américains sont habitués, au volant de leurs grosses voitures américaines ou de leurs 4×4 rutilants, à avoir de la place autour d’eux. Les autres voitures, ni les piétons, ne s’aventurent à moins d’un mètre de la leur. Et en France, traumatisant, la distance entre les voitures est réduite de moitié, à cinquante centimètres, et les pauvres natifs de Boston, Los Angeles ou San Francisco se sentent agressés dans leur espace vital, leur zone tampon de protection. En Egypte, cette distance minimale est encore réduite. En ville, quand ça roule, elle est de vingt centimètres, et quand le rythme se ralentit un peu, l’espace vital ne fait plus que 4 ou 5cm. D’où la sensation d’envahissement, d’une part, et la nécessité, d’autre part, de conduire comme les Egyptiens, sous peine de se faire emboutir parce qu’on a défié leurs prévisions… Sinon, on s’arrête, on prend le taxi.
Note: Et pourtant, il n’y a pas tant de voitures que ça en Egypte. Moins de 4 millions de véhicules à moteur, en comptant les camions, les tracteurs, les motos, les autobus, etc., le tout pour 75 millions d’habitants, alors qu’en France on compte environ 40 millions de véhicules – mais qui ne sont pas utilisés simultanément, heureusement…
Pour d’autres informations sur la conduite au Caire, voir le site Conduites urbaines, auquel j’ai participé par quelques photos.