West al-balad, le centre-ville du Caire, est un quartier moderne, construit entre la fin du XIXe siècle et l’entre-deux-guerres, sur un modèle haussmannien. De nombreux immeubles de pierre de taille, avec balcons en fer forgé, cheminées, plafonds hauts, cages d’escalier majestueuses, ascenseurs de fer et de bois. Quelques uns d’un joli style néo-orientaliste, folies d’architectes européens engagés par de riches commerçants, entrepreneurs ou princes de l’Egypte khédiviale, coloniale ou libérale. Un demi-siècle plus tard, ce n’est plus un beau quartier bourgeois, malgré quelques représentants, âgés, de l’ancienne bourgeoisie, généralement réfugiée à Zamalek ou à Héliopolis. D’anciens magasins chics (tailleurs, chapeliers, encadreurs, antiquaires,…) subsistent ici et là, décatis ou repeints, comme les témoins d’une autre époque que sont le Club grec ou le Café Riche.
Les façades noircissent, les climatiseurs bourgeonnent, les pancartes se multiplient, certains ont repeint le mur extérieur autour de leurs fenêtres et de leur balcon. Les ascenseurs hors d’âge brinquebalent vertigineusement. La plupart des devantures sont occupées par des boutiques modernes, chaussures surtout pour la rue Tal’at Harb, vêtements pour la rue Qasr al-Nil. Et ce sont maintenant les classes populaires et moyennes inférieures qui viennent le soir faire du lèche-vitrine, encombrant tellement les trottoirs qu’il est nécessaire de marcher sur la chaussée. Les jeunes se promènent, chemises moulantes et téléphone portable bien en vue, les jeunes filles minaudent sous leur voile assorti à leur sac à main et à leurs chaussures. Et dans les klaxons des voitures qui tentent de se frayer un chemin dans la foule en vrombissant, cependant que les grappes humaines traversent la chaussée au milieu même du flot rageur des véhicules, on se montre, on parle à n’en plus finir, on achète un peu, on lance des oeillades, on drague, en tout bien tout honneur, sous le voile.